Le lexique insolite de la couture
Comment remplacer avantageusement sa belle-mère par un morceau de carton ? Où est passé le poil du passepoil ? À quoi sert une pattemouille ? Voici la petite histoire de trois mots insolites du lexique de la couture.


Ce mois-ci, nous allons nous pencher sur trois mots incongrus que l’on rencontre dans le vocabulaire de la couture, à savoir, dans l’ordre d’apparition : le passepoil, la belle-mère et la pattemouille.
Il n’est plus poilu : le passepoil
Le passepoil, qu’est-ce que c’est ? C’est une bande de tissu dans laquelle est glissée une cordelette, afin de former un petit ourlet en relief.
Cet ornement, à l’origine conçu pour les coutures des costumes militaires, est aujourd’hui très utilisé comme finition élégante pour les accessoires, mais aussi pour la déco et le mobilier (coussins, canapés…).
Côté construction du mot (qui est attesté en 1834), c’est assez transparent : il s’agit d’un composé de passer et de poil. Mais, si l’on voit bien qu’il passe entre deux coutures, on a en revanche un peu de mal à déterminer où est le poil… C’est qu’à l’origine (1603), le mot était employé pour la fente du vêtement par où paraissait le “poil” de la doublure. Si la dimension “ornement” était déjà présente, il semblerait que la partie “ruban” qu’on trouve dans le passepoil contemporain n’existait pas alors…
On la remplace avantageusement par un morceau de carton : la belle-mère
Dans le jargon de la couture, une belle-mère est une cale qui se glisse sous le pied-de-biche de la machine à coudre et qui permet de passer sans difficulté les épaisseurs de tissu (indispensable, par exemple, quand on coud du jean, qui est une toile épaisse et qui fait rapidement s’incliner ledit pied-de-biche). Si la forme la plus aboutie de la belle-mère est en plastique (voir photo), on peut également utiliser un morceau de carton ou de tissu épais dans le même but. C’est tout aussi efficace : après tout, il s’agit d’une simple cale.
Pour ce qui est de l’histoire du mot, en revanche, impossible de trouver une attestation écrite sérieuse avec cette signification : on est bien dans une tradition orale de métier, qui est passée sous les radars des dictionnaires officiels. D’ailleurs, dans les merceries, on trouve des belles-mères sous le nom plus présentable (et plus clair !) de “cale pour passer les épaisseurs”, “passe-épaisseur”, “plaque élévatrice”…
Le mot belle-mère a un certain succès en argot – ce qui n’est pas très étonnant, vu les connotations négatives parfois associées à la marâtre. Une belle-mère est ainsi, en vrac, une remorque de camion, dans le vocabulaire des routiers ; un ex-politicien qui continue d’utiliser son influence en coulisse, au Québec ; une brosse pour la vaisselle, en Belgique ; et aussi un type de scie, un cactus…
On la mouille, mais ce n’est pas une papatte : la pattemouille
Troisième mot, enfin, la pattemouille est un linge humidifié dont on se sert lors du repassage des tissus. Elle permet de facilement faire disparaître plis et froissures, pour un rendu impeccable.
Pour ce mot, l’origine est plus facilement traçable : on le rencontre d’abord sous la forme patte mouillée (1842), qui s’altère en 1900 pour devenir pattemouille. Mais, si ce mouille vient bien de mouiller, patte renvoie ici à un mot moins connu, employé de façon régionale (Lyonnais, Dauphiné, Alpes) ou en Suisse, et qui signifie “chiffon, torchon”. Devenir patte signifiait ainsi “devenir mou et flasque comme un vieux chiffon”. Pour résumer: aucun lien étymologique, donc, avec les pattes des animaux.
Du fait des spécificités géographiques de l’emploi de patte en ce sens, d’un point de vue linguistique, le mot pattemouille est considéré comme “démotivé” en français général. Cela indique que l’on a perdu la transparence du lien entre la forme et le sens du mot : dans ce cas, on pense immédiatement à la patte mouillée d’un animal, ce qui a de quoi laisser un peu perplexe. Un exemple classique de démotivation lexicale se trouve dans le mot courage, qui vient de cœur, sans que cela n’apparaisse de façon évidente si on l’ignore. Autre exemple : humble trouve son origine en lien avec humus, “terre, terreau”, avec l’image de quelqu’un qui s’abaisse volontairement, qui se met “près de la terre”.
En pratique, dans les accessoires faits main de l’atelier
Et La Boîte à zigzag, dans tout ça ? Eh bien, si pour l’instant aucun des articles de la boutique n’est agrémenté de passepoil, j’ai très souvent recours à ma belle-mère, et une pattemouille m’est indispensable, notamment pour bien fixer le molleton des étuis à lunettes !
Sources
Dictionnaire historique de la langue française
Centre national de ressources textuelles et lexicales
Dictionnaire des francophones
Images
Photo passepoil : d’après Freepik
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Ma belle-mère en action

